Naples, Campanie, Italie – Troisième Trimestre 2010
Les vieux quartiers de Naples, résidence de Dante, étaient les mêmes. Jamais ils ne changeaient, ou ne changeraient. La drogue, la prostitution…la mafia bien sûr, qui contrôlait le trafic des ordures, faisant de la ville autrefois si belle une sorte de poubelle à ciel ouvert. Et dans une poubelle, il y’a des déchets. Ceux sur lesquels butait parfois le jeune homme, alors qu’il traversait la vieille ville en direction du centre, mais aussi les personnes qui peuplaient les environs. Brigands de toutes espèces, commettant des crimes allant du vol à main armée au trafic d’humains. Les gens, surtout les guides touristiques, disaient que Naples était une ville comme une autre. Ils ne connaissaient pas le mal de la ville. Donc si l’on ne traînait pas en bandes, souvent rattachées à des organisations criminelles, de près ou de loin, on était une proie de choix. C’était le cas de Dante, qui s’était toujours efforcé de se défendre correctement, parfois trop peut-être. Récemment encore, il avait fichu une dérouillée à un prétendu gangster, et voilà qu’un tas de ses larbins voulaient lui faire la peau. Étrangement, cet événement correspondait parfaitement avec l’apparition en Dante d’une envie précise. Quitter la ville, quitter l’Italie, quitter l’Europe, même. Il se sentait de plus en plus étranger chez lui. Sa seule famille, sa mère, Ornella, était en sécurité à l’hôpital. Un infarctus l’avait laissée pour morte, et elle vivait maintenant dans un état quasi végétatif à l’hopital, sous machine. Elle arrivait à articuler quelques mots, au prix d’un terrible effort…Et pourtant, dans cette condition terrible, elle avait accepté que son fils parte. Elle semblait avoir compris quelque chose qui échappait au jeune Dante, et celui-ci pensa immédiatement au déroulement anormal de sa vie. Son enfance sans père, dont il n'avait jamais rien su à part une histoire contée par sa mère, quand elle travaillait encore en tant qu'infirmière libérale. A la sortie d'une intervention de nuit, en urgence, elle s'était faite agresser. C'est à ce moment là que le père présumé de Dante serait apparu, comme dans les films, en sauvant sa mère. Dès cette rencontre, tout serait allé très vite ( trop vite selon certains ), et après quelques rendez-vous, un couple s'était formé, et encore quelques mois après, l'annonce d'un bébé à venir. Le prénom du père n'avait jamais été dévoilé à Dante " Pour que tu ne sois pas tenté de le rechercher " disait sa mère. Et dès le lendemain de la naissance de l'enfant... plus rien. En tout cas, c'est ce qu'avait raconté sa mère. La chose qui le tracassa le plus, après avoir pensé à son enfance, c'était le papier que sa mère lui avait donné, une simple feuille déchirée où était inscrite une adresse :
Camp de Sang-Mêlé, Colline de Sang-Mêlé, Farm Road 3.141 Long Island, New York 11954
Elle avait simplement dit que son père, il y a longtemps, lui avait donné cette adresse au cas où, pour qu'il ait un endroit où se réfugier, et elle jugeait que c'était le moment. Dante ne posa pas plus de questions, car il savait d'expérience que parler de son lâche de père avec sa mère ne faisait que la rendre triste. Et elle ne lui disait jamais rien de toute manière.
Retour à la réalité. Le sac de sport en cuir noir que portait le jeune homme sur son épaule commençait à peser, mais ce qui l’avait sorti de ses pensées, c’était l’endroit dans lequel il se trouvait. Un vieux club de boxe dont Dante faisait partie jusqu’à il y a quelques jours. De nature solitaire, le jeune Italien s’était pourtant bien intégré, avait trouvé la force de se contenir, d’avoir des valeurs nouvelles, d’apprendre et de respecter. De plus, le coach, au courant de la situation de la mère du garçon, lui avait prêté main forte, une aide financière légère mais bienvenue, et une oreille attentive, quand vivre seul devenait trop pesant pour le garçon. La salle marquait aussi la fin des mauvais quartiers, et était juste à cinq minutes d’un arrêt de bus qui le conduirait à l’Aéroport de Naples. Dès cet instant précis, le temps sembla s’accélérer, et Dante vécu le tout comme s’il son corps agissait tout seul. L’attente d’une navette, le trajet, lui qui demandait un billet pour Rome puis New-York à la guichetière, qu’il put payer grâce à des sous durement gagnés, lors de travaux pas forcément légaux. Le passage de la sécurité : il n’avait rien de dangereux bien sûr, uniquement un et ses papiers étaient en règles. L’embarquement ensuite, et le voyage jusqu’à Rome. Le ciel était extrêmement couvert, rare dans cette partie de l’Italie, et le temps se fit pire durant le vol jusqu’à New-York. De l’orage, du tonnerre, et des turbulences, beaucoup de turbulences. Et une sorte d’appréhension demeurait dans le cœur de Dante sans qu’il puisse l’expliquer ( plutôt sans qu'il puisse s'avouer qu'être enfermé a des milliers de mètres d'altitude, dans une boite en métal flanquée de deux réacteurs, et ben ça lui foutais les jetons ), et de nombreux souvenirs de son enfance solitaire revinrent dans sa tête : des attaques, espacées parfois de plusieurs semaines, parfois de plusieurs années, de personnages singuliers. Et il avait toujours eu de la chance, réussissant à s’échapper in extremis, ou frappant étonnement précisément. Cette soudaine envie de partir était-elle liée à l'hyperactivité dont le jeune homme était atteint depuis son plus jeune âge ? Il savait qu'elle était déjà la cause de sa dyslexie ( impossible pour lui de lire quoi que ce soit sans bugger une fois par phrase ), qui au passage lui avait causé bien des ennuis pour trouver les bonnes portes d'embarquement à l'aéroport. Quoi qu’il en soit, après plus de dix heures de vol, il atterrit. Les contrôles de sécurité se firent plus nombreux, et bien qu’il ait quitté l’école dès que possible, Dante avait de bonnes bases en anglais, de quoi se débrouiller. Il sentait qu’il approchait de sa destination, et en pensant que hier encore il était à Naples le rendait bizarre. Il était si rapidement parti, sans même dire au revoir à sa mère ( il était sûr qu’elle comprendrait )…
Il était maintenant à l’extérieur de l’aéroport, et une masse de véhicule circulait devant. Comme dans les films qu’il avait pu voir, il héla un taxi, et monta dedans, pressé. Un afro-américain, aux dreadlocks imposantes, se retourna vers lui :
« Où est-ce que je t’emmène, mon gars ? »
Dante n’y avait même pas réfléchi, mais les mots sortirent de sa bouche, par automatisme, avec un accent un peu trainant car il ne s’exprimait pas dans sa langue natale :
« J’aimerais aller à Long Island…Montauk. »
Hochant la tête avec un air détaché, le taxi commença le trajet, qui allait durer à peu près deux heures trente. De quoi laisser à Dante le temps de penser au passé, encore. Il ne s'était jamais senti à l'aise auprès des autres, et ressentait des choses que les autres ne sentaient ou comprenaient pas. Après s'être fait traiter de fou plusieurs fois, il avait laissé tomber, persuadé qu'il était juste un enfant à l'imagination fertile. Mais ces sensations l'avaient poursuivi durant son adolescence, et alors qu'il approchait l'âge de la majorité ( du moins en Europe ), elles étaient toujours présente. Elles se manifestaient de bien des façons, mais une manière récurrente était la soudaine impression d'un danger imminent. Et ça s'avérait vrai... certaines fois. Toutes les agressions dont il avait été victime, il était persuadé que c'était simplement les conséquences d'une vie dans les quartiers pourris d'une ville pourrie. Pourtant, il jurerait avoir vu des choses, chez ses agresseurs... Durant de courts instants, mais il était sûr de ne pas avoir rêvé : des griffes, des dents étrangement longues et acérées... A chaque fois, la situation avait été extrêmement tendue jusqu'à qu'il réussisse par miracle a s'enfuir dans les ruelles de Naples, ou... Ou parfois, étrangement, il avait l'impression d'avoir réussi a porter des coups dévastateurs sous l'effet de la panique. Pourquoi, alors qu'il n'était même pas adulte, avait il réussi a mettre au tapis des adversaires plus grands, et d'apparence adulte ? Le seul point commun entre toutes ces confrontations était la fatigue imposante qui les suivaient.
De nouveau, retour à la réalité brusque. Le coup de frein du chauffeur venait de sortir Dante des méandres de ses pensées, et il se rendit compte qu'il devrait payer. Sortant ses dernières économies, il les tendit au chauffeur qui les accepta après une brève hésitation. Bien entendu, de la monnaie Européenne, ICI, c'était particulier. Sortant de la voiture, comme dans un rêve ou son corps se déplaçait seul, il prit son sac en cuir qu'il remit sur son épaule, et commença à marcher. Assez longtemps pour que cette sensation d'errance se dissipe, et que Dante se retrouve seul, face à un porche entouré de torches, qui disait " Colonie des Sang-Mêlés ". Dante ne se rendit même pas compte qu'il avait lu ça sans difficultés, ni qu'un porche entouré de torches dans la nature, ça n'était pas normal du tout. Il le passa juste, et suivit le chemin qui continuait après l'arche.
3 semaine plus tard
Ah, il s'en était passé des choses. Accueilli sans trop de cérémonies, Dante avait eu une longue phase de déni. Pour lui, les demi-dieux, les dieux tout courts, les SATYRES NON PLUS ça n'existait pas. Il avait fallu qu'il se rende à l'évidence que c'était le cas quand il avait assisté à nombre de spectacles irréels. Apparemment, chaque pensionnaire de la colonie avait un parent divin, qui s'était manifesté à un moment ou un autre, ce qui les assignait alors à un bungalow. Sauf pour certains, Dante y compris. Son père, qui qu'il soit, et pour quelque raison, n'avait pas reconnu le jeune homme en tant que fils... inutile de dire qu'il vivait ça comme une déception. Bien entendu il avait reçu le soutien des résidents du bungalow d'Hermès, qu'ils soient ses fils ou des demi-dieu non reconnus. A force d'entrainement il avait même réussi à se rendre compte qu'il avait la faculté, au prix d'un immense effort et sous le coup d'une violente émotion, d'augmenter sa force à des niveaux incroyables. De quoi dormir quelques bonnes journées après. Quant aux autres... Ils étaient sympa, mais Dante était d'un naturel solitaire. Il préférait passer son temps libre dans son bungalow, a écouter de la musique, ou a explorer les environs.
Un dernier problème demeurait : les conflits récents. S'il avait bien compris, un camp de romains faisait une sorte de concurrence à la colonie des sangs-mêlés ( c'était bien la peine d'avoir fait tout ce voyage ). Cependant, au vu des récents événements, certains voyaient d'un bon oeil l'éventuelle formation d'une alliance entre les deux. Convaincu que ça ne fonctionnerais pas, Dante ne s'impliquait pas plus que ça dans les voyages des émissaires entre les deux camps. Quoi qu'il en soit, les temps à venir allaient être dur, et il serait peut-être bon qu'il s'ouvre à quelqu'un. Qu'il se fasse, peut-être, des amis. Il avait beau le vouloir, il savait au fond de lui qu'une bataille seul est plus laborieuse qu'à plusieurs, et d'après les explications qu'il avait reçu, les forces en jeu ne se laisseraient pas abattre par un demi-dieu non reconnu, aussi brave, habile de sa lance, et haineux soit-il.