La quiétude qui envahissait la maison était étourdissante. Les gens murmuraient à voix basse, ils s’efforçaient à sourire et à être tendre envers la petite. Cette dernière n’en avait pas besoin; elle comprenait très bien ce qui était en train de se produire. Les gens vêtus de noir, elle-même affublée d’un ensemble foncé, leurs visages tristes et affolés de voir la gamine si calme. Elle aurait dû fondre en larmes, selon les termes. Elle aurait dû hurler, crier lorsque le cercueil fut mis en terre. Non, la seule chose qu’elle avait fait, c’était regarder sombrement sa mère dans un silence de pierre. Oui, selon eux, toutes ces choses étaient normales. Alors pourquoi la petite s’entêtait-elle à se fermer à ses émotions? En réalité, ils n’avaient rien compris.
Azalee souffrait. Elle avait senti son cœur se déchirer en morceaux lorsqu’elle avait reçu la lettre fatidique. Lorsque sa tante s’était approchée d’elle avec un regard ruisselant, les gouttes d’eau salées tombant sur son visage. Elle était faible; elle n’avait rien mangé depuis des jours. C’est pourquoi lors de l’enterrement, elle n’avait pas eu la force de se lancer sur le cercueil de sa mère pour les empêcher de la recouvrir de terre. C’est pourquoi elle n’avait pas eu la force de pleurer, ni de regarder tous les gens présents à la veillée, ni de remercier tout ceux qui offraient sympathiquement et le plus sincèrement possible leurs sympathies. Il était inconcevable qu’une gamine de cet âge, onze ans précisément, puisse vivre seule, aussi. Mais sa tante était là, elle refusait catégoriquement de balancer sa nièce dans le système judiciaire et de l’orphelinat. C’était impensable. Qui plus est, la petite n’avait jamais connu son père. Seul Dieu savait où il se trouvait, et si seulement ils avaient compris cela plus tôt…
La paix ne dura pas.
Étant une enfant difficile, dyslexique, hyperactive, sa tante avait beaucoup de mal à garder Azalee en place plus d’une heure. Ses notes étaient désastreuses au collège, et elle se faisait plus d’ennemis que d’amis. Si bien qu’elle ne voulait plus du tout se présenter en classe. La petite trouvait cela trop dur; c’était un véritable supplice de se rendre à l’autobus chaque matin et au fil du temps, elle paraissait épuisée. Douze ans, ce n’était pas un âge auquel on devrait être fatigué, surtout autant qu’elle. Elle avait beaucoup de mal à suivre la cadence, elle n’arrivait plus à vivre une vie normale. Qui plus est, quelque chose de dingue se produisit, une journée d’hiver.
Elle était sagement assise à table, alors que sa tante préparait à manger. Azalee voguait sur le PC de sa tante, qui l'avait préalablement fermé. Cette dernière se retourna vivement lorsqu'elle entendit la gamine rire de bon coeur, se demandant ce qui se passait. «
Que fais-tu, Azalee? » Cette dernière leva des yeux rieurs vers sa tante, et les leva ensuite vers son oncle, tout aussi incrédule que la femme. «
Comment as-tu ouvert l'ordinateur? » questionna-t-elle encore une fois. La petite haussa les épaules, insouciante du danger que tout ceci représentait. Inconsciente, surtout, que les monstres pouvaient rapidement se mettre à arriver après l'utilisation d'un don tel que le sien. Le regard fâché, leurs yeux braqués sur elle, la gamine effaça son sourire. «
Je voulais aller regarder un film, alors je l'ai ouvert en la touchant. Ça fonctionne comme ça, si ? ». Les paroles de la petite firent frissonner les adultes, qui savaient très bien ce qui était en train de se produire. La tante avait entendu parler des aventures de sa soeur, qui s'était vantée d'avoir eu les faveurs d'un dieu. Une enfant magique. La militaire avait connu la mort quelques jours après cette annonce. Coup du hasard ou simple malchance? Personne ne le saura jamais. «
Ne recommence plus jamais! » s'emporta la femme, très en colère. Elle gifla sa nièce, sans pitié, et cette dernière se braqua. Toute émotion disparue de son visage, et elle monta à l'étage. Furieuse, elle décida de faire sa valise. C'est-à-dire un simple sac dans lequel étaient fourrés vêtements et son iPod. Oui, sa tante avait été réticente à lui en acheter un, mais au final, elle avait réussi à la convaincre. Azalee soupira, se rendant bien compte de ce qu’elle était en train de faire, mais elle ne pouvait s’empêcher de songer que c’était pour le meilleur et pour le pire. Fuguer n’était peut-être pas la meilleure des solutions, mais c’était la seule à laquelle elle pouvait penser.
Heureusement, sa chambre était au rez-de-chaussée. Avant même que ses tuteurs ne montèrent vérifier qu’elle était bel et bien couchée, la petite s’était enfuie.
La petite courut pendant longtemps. Elle traversa une forêt, s’abreuvant dans un ruisseau qui était non-loin de là, et mangeant quelques barres énergiques qu’elle s’était apportée. La petite s’aventura, une bonne fois, plus loin dans la forêt, et elle y aperçut un loup. Étrangement, la fillette fut piquée par sa curiosité et décida de suivre l’animal en toute discrétion. Néanmoins, ce dernier semblait vouloir qu’elle le suive, puisqu’il s’arrêtait à chaque fois qu’elle le faisait.
Elle arriva finalement face à une louve immense, gigantesque, qui lui adressa la parole. Cela lui semblait étrange; comment un animal arrivait-il à s’exprimer dans le langage humain ? N’avait-il pas été prouvé que ce fût impossible, que même les singes n’arrivaient qu’à imiter les gestes ? Azalee était incrédule face à la créature qui se trouvait devant elle. «
Azalee Rainleigh, fille de Vulcain. Tu devras faire face à tes plus grandes peurs et affronter un grand danger avant de pouvoir retrouver ton chemin. » Ce furent ses seules paroles. Paroles qu’elle ne comprit pas, paroles qui ne semblaient pas faire de sens. Mais tout s’éclaircit lorsqu’un lac émergea devant elle. Il ne semblait pas y avoir d’autre solution; la fille du Dieu de la forge et des volcans devait le traverser. Avec peine, avec pleurs, avec effroi, elle plongea dans l’eau glaciale. Pendant un instant, elle crut se noyer. Mais l’instinct de survie de la jeune demi-déesse prit le dessus, et elle traversa le lac de peine et de misère, avec de grandes difficultés, puisqu’elle était terrorisée. La première épreuve terminée, une deuxième succéda en peu de temps. Elle sortait à peine de l’eau, alors que quelque chose l’agrippa. Un serpent aquatique géant l’empoigna à la jambe, et la petite ne savait pas du tout comment elle allait s’en sortir. Elle a dû se débattre durant environ une heure, voire plusieurs heures, avant de finalement s’en sortir en plantant un objet coupant dans l’œil droit de la créature. Cette dernière lâcha un cri de surprise, desserrant sa prise, et laissa la petite partir, qui se mit à courir comme une dingue. Finalement, elle arriva devant un grand écriteau qui lui donna mal à la tête. Les lettres se déplacèrent, et on pouvait lire
Le Camp Jupiter. La jeune fille haussa un sourcil, et continua son chemin, franchissant la barrière magique, entrant dans son vrai monde. Dans sa vraie maison.
«
Où est Azalee? » s’exclama le centurion à l’air sévère. La jeune femme dormait toujours, et elle ronflait, même. La brune n’avait pas daigné se lever pour l’entraînement matinal, alors un groupe de légionnaires s’avancèrent dans sa caserne, avec un saut d’eau bien rempli de glaçons froids. Ils lui versèrent le tout dessus, sans aucun ménagement, et le hurlement de la demi-déesse retentit dans tout le Camp. «
VOUS ÊTES DES GRANDS MALADES. » Bien éveillée, cette fois, ils la tirèrent du lit sans aucune pitié et lui sourirent de toutes leurs dents, comme des enfants pris en faute. Elle grogna, les ficha à la porte et s’habilla pour aller rejoindre sa cohorte à l’entraînement. Bordel, elle était frigorifiée maintenant. Elle détestait être mouillée. Elle aimait les grandes chaleurs, les canicules… Et là, on osait lui balancer un énorme saut d’eau glacée à la tête… Quelle tristesse. Elle se sécha rapidement les cheveux avec une serviette et les attacha en un chignon mal fait, et rejoignit les troupes sur le terrain d’entraînement. Pas question de se prendre une autre attaque glacée en pleine tronche, surtout que les gosses d’Aquilon s’en donneraient sûrement à cœur joie.
Les troupes étaient rassemblés. Grecs et Romains furent surpris par la trahison d’Octave, qui, avec ses fidèles, réussit à détruire le camp des grecs, la Colonie. Enragée par un tel outrage, par une telle trahison, la forgeron avait failli se lancer sur lui pour l’étrangler à main nues. Mais le centurion était beaucoup trop fort pour elle; elle n’était aucunement à son niveau. Tout était trop étrange, tout semblait se bousculer dans sa tête. Elle ne comprenait plus rien. Comment avait-il pu oser commettre un tel geste ? Comment avaient-ils tous pu se faire berner par ce salaud d’Octave? Enfin, sauf Reyna. Elle, elle semblait avoir tout compris depuis le temps. Azalee avait toujours soupçonné quelque chose de louche chez le demi-dieu, mais jamais quelque chose de cette envergure. Tout ceci dépassait carrément ce qu’elle avait crû croire. Tout cela détruisait ses moindres soupçons sur toutes personnes vivant dans le monde des demi-dieux. Même les partisans ne seraient sûrement pas tombés aussi bas, au point de trahir alliés et amis…
Tout le monde étaient au Camp Jupiter, en train d’élaborés plans et conseils. Reyna souffrait énormément par l’empoisonnement, et des demi-dieux partirent en quête pour tenter de trouver le remède magique. Des herboristes, des médecins restèrent pour prendre soin de leur chef, mais cette dernière périssait à vue d’œil. Inquiète, Azalee ne bougeait pas de l’emplacement où elle était. Elle préférait attendre avant d’agir sur un coup de tête.
Lorsqu’ils revinrent enfin, après quatre jours de bataille acharnée, les demi-dieux purent administrer le remède à la fille de Bellone, qui se vengea sur Octave en le tuant de ses propres mains. Admirant le courage de la demoiselle, Azalee sut qu’elle aussi, pourrait devenir une bonne combattante. Il faudrait qu’elle s’entraîne nuit et jour, mais c’était faisable… Elle était même prête à renoncer à une demi-heure de sommeil à chaque matin. C’était énorme, venant de sa part. Ils formèrent maintenant une Coalition, qui vécut en paix de 2011 à 2019. Âgée de 19 ans, elle était maintenant redoutable. Azalee n’était plus la simple guerrière que tous avaient connue. Elle s’était entraîné corps et âme pour acquérir des compétences hors du commun. Elle avait une ambition que personne ne soupçonnait, car elle la cachait derrière sa fainéantise et ses mauvaises blagues.
Personne ne sut que la paix, qui dura 8 ans, se briserait. Néanmoins, tout n’était pas rose, dans le monde… Même pour les demi-dieux.
La brume s’était rompue.
Les humains pouvaient les voir, les monstres aussi. Plus personne n’était à l’abri, plus personne ne pouvait se cacher. Un groupe armé vint s’attaquer au Camp Jupiter, et alors qu’elle était seule dans la forge, elle ne les a pas entendus venir, avec tout ce qu’elle y fabriquait. Néanmoins, elle reconnut le cri de rage de son frère aîné, ou plutôt, son demi-frère. Celui qui l’avait entraînée, qui l’avait accueillie ici. Celui qui lui avait tout donné pour être une demi-déesse hors du commun, celui qui lui avait appris à se servir de son pouvoir car il possédait le même. Elle l’entendit hurler, de rage et de douleur. Lorsqu’elle arriva sur le champ de bataille, le garçon de vingt-cinq ans était étendu sur le sol. Ses mains recouvraient une plaie ouverte, d’où fuyait un liquide vital, précieux. Le sang s’échappait de la plaie et les médecins avaient tenté de le rafistoler. Sur son lit de mort, l’homme lui tendit quelque chose, alors que la demoiselle pleurait à chaudes larmes. La première fois qu’elle s’était laissé aller à ses émotions. «
Prends ça. Elle saura t’être fidèle. » Il s’agissait d’un bracelet orné de diamants noirs. En la touchant avec son index, il se transforma en une majestueuse épée faite d’or impérial. Elle avait une arme, déjà, mais elle n’était pas aussi classe que celle-là. Devinant qu’il s’agissait de celle de son frère, elle pleura encore plus. S’il lui léguait quelque chose, c’était qu’il pensait vraiment mourir… «
Non… Tu en auras besoin pour continuer le combat, Jordan. » Les paroles prononcées par Azalee n’eurent aucun effet, car il ne put les entendre. Il avait fermé les yeux, et il s’était laissé emporter par la mort.
Ce soir-là, des pertes furent comptabilisées en masses. Si les dieux n’étaient pas intervenus, ils seraient tous morts, à l’heure qu’il est. Heureusement, ils s’en étaient sortis, pour la plupart… Mais Azalee ne fut plus jamais la même, depuis ce jour. Jamais vivre ne lui avait semblé aussi difficile.
2025, présent. Le monde semble avoir repris un cours normal. Les demi-dieux se sont à nouveau séparés des humains. La Coalition est toujours bel et bien existante, encore plus solide qu’autrefois. Les rangs se sont resserrés, tout le monde tente de vivre naturellement. Azalee fait des efforts pour tenter de se lier, pour tenter de comprendre.
La demi-déesse sent que quelque chose d’étrange se trame, mais elle n’en parle pas. Peut-être devrait-elle, mais cela ne servirait à rien. Cela ne ferait que semer la panique sur le monde, et cela ne serait pas bon pour eux. En attendant, elle s’entraîne avec sa nouvelle épée. En attendant, elle en profite pour promettre de se venger, pour promettre qu’aucune autre personne ne se mettra en travers de son chemin.