Il faut que je m'échappe. [Ft. Lyu]

2 Octobre. Une mission l’attendait pour les prochains jours. Elle devait se dérouler à Los Angeles et Riley avait déjà bien entamé les premières recherches concernant sa cible. Mais pour le moment, elle devait rejoindre le QG des partisans. Jayson lui avait demandé de venir pour qu’ils discutent tous les deux de la situation, et sachant qu’elle ne gardait qu’un œil assez peu attentif sur la condition des demi-dieux, ce n’était pas plus mal qu’elle se ramène. Histoire d’être à jour au niveau des informations intéressantes. Les nouvelles recrues par exemple, ou les défaites des partisans. Comme la perte de Gaïa par exemple. Apprendre que la déesse qui l’avait contacté était tombée l’avait légèrement surprise. Parce que selon ses recherches, il était question d’une déesse primordiale aux pouvoirs incommensurables. Et elle avait sombré. Alors oui, Riley s’était montré surprise, mais au final, elle n’en avait pas grand-chose à faire. Elle rejoignait ce groupe quand ils avaient les moyens, parce que les évènements semblaient plus ou moins mouvementés et qu’elle aimait ça, mais de là, à dire qu’elle en avait réellement quelque chose à faire, c’était un bien grand mot. Elle se tenait au courant, voilà tout. Et puis, parait qu’il était important de garder contact avec le monde – ce monde – dont elle était partiellement issu. A son sens, « faire partie » était un terme trop fort pour être correct dans son cas, alors, elle optait pour le partiellement issu, qui restait tout aussi véridique. Sa mère, Nox, ne lui avait jamais donné signe de vie, mais ce n’était pas pour autant qu’elle allait la renier. Juste qu’il ne s’agissait que d’une inconnue ayant vaguement contribué à son existence, et qui avait plus longuement discuté avec son père qu’avec elle. Comme quoi, pour parler à une déesse, il faut en avoir une bonne paire entre les jambes. Riley avait pensé vaguement pensé que sa mère viendrait la voir lorsqu’elle avait accepté de travailler pour sa sœur – Gaïa – mais visiblement, les liens familiaux, ce n’était vraiment pas ça. Bah, tant pis. Là encore, elle n’avait éprouvé aucune décision devant ce constat. Le silence, ça la connaissait.

Donc voilà, elle marchait dans les couloirs du QG, ayant mémorisé les lieux même si elle ne venait qu’une fois par mois environ. Pas besoin de plus, les actions n’étaient pas tellement nombreuses de ce côté-ci. Et si elle avait bien compris, les romains étaient occupés avec les grecs. Oui, parce qu’en étant appelé par les forces de Gaïa, Riley avait appris l’existence de la colonie grecque, dont elle n’avait jamais entendu parler. Déjà qu’elle ne connaissait pas Cronos en arrivant, la découverte des grecs avait été quelque peu surprenante. Cela faisait environ cinq ans qu’elle avait quitté le Camp Jupiter, et un an qu’elle travaillait parfois avec Jayson. Donc, il était tout à fait normal qu’elle n’ait jamais rien su ni de Cronos ni des grecs. Mais oui, ça restait tout de même des informations plutôt déroutantes, enfin pour quiconque y accordait de l’attention. Elle, elle n’avait fait que les enregistrer dans un coin de son esprit avant de passer à autre chose. Ce n’était pas sa priorité. Elle avait laissé ça derrière elle. Les romains, la hiérarchie, le sérieux, la loyauté et tout le toutim, ce n’était pas pour elle. Non, son père était un chef d’entreprise versé dans les transactions plus ou moins illégales, et basées à Chicago ainsi qu’en Russie. En clair, elle avait autre chose à foutre. Et bon sang, faire des allers retours au départ de Chicago, ça la faisait plutôt chier qu’autre chose. Comment faisaient les demi-dieux qui possédaient une vie en dehors de San Francisco ou New-York, là où elle avait appris que se trouvaient les grecs ? Peu importe, elle avait fait un choix. Le choix de ne pas être enchainée à un camp. Certains diraient qu’elle avait pris parti en travaillant pour les partisans, mais Riley répondrait alors qu’elle ne bossait que pour les plus offrants. Tout simplement. Il n’y avait pas à chercher. L’argent faisait le monde, et elle n’était pas la seule à s’en être rapidement rendu compte. Alors oui, elle ne donnait pas l’impression de posséder de grandes valeurs, enfin des valeurs nobles, mais Riley n’était pas une héroïne de film. Non, elle faisait partie de la catégorie des terre à terre, et ça lui allait très bien.

En arrivant au QG, elle s’était rapidement entretenue avec Jayson sur la situation actuelle, avant de quitter les lieux. Cela n’avait pris qu’une petite dizaine de minutes et c’était suffisant. De toute façon, elle n’aimait pas les grands discours. Millbrook à New-York, voilà là où elle se trouvait. Errant pour remonter à la surface, elle hésita l’espace d’un instant lorsque son ventre émit un grognement peu flatteur. Là par contre… Le réfectoire ? Bordel, il y avait des étages partout ici. Encore heureux qu’elle ne se trouve pas dans les archives du Metropolitain Museum, parce que rien que le nom, elle s’imaginait prendre la poussière. Bon, réfléchissons. Où se trouvait le réfectoire, déjà ? Grognant agacée, elle choppa la première personne qu’elle croisa, une fille, et lui jeta un regard. « Où est le réfectoire ? » Son regard sonda les prunelles de la demoiselle, avant de froncer légèrement les sourcils. « Lyudmila, c’est ça ? »

Yosh. Elle venait de la vouvoyer. Ce n’était pas vraiment déstabilisant, Riley ayant l’habitude que certaines personnes de sa vie se conduisent avec un respecte frôlant l’hypocrisie, voire carrément hypocrites à dire vrai. Donc, elle se contenta de hausser un sourcil sceptique, sentant pas instinct que la demoiselle n’était pas du genre à placer les gens à qui elle s’adressait sur un piédestal. Passant sur son visage, afin de se remémorer ses traits, puis de les graver dans sa mémoire, la fille de Nox reprit une expression totalement neutre. Que la demoiselle se soit vexée, ou se conduise comme une peste à sa manière de petite princesse, cela ne la dérangeait pas. Et qu’elle se venge de son ton et de sa manière quelque peu exigeante de parler, elle n’en avait cure. Ce n’était pas la première qui lui tiendrait tête, et ce ne serait clairement pas la dernière. Après tout, les comportements et tempéraments sont d’une telle diversité, que si nous ne sommes pas parés dès notre jeunesse à affronter la différence, et bien, il ne nous reste alors plus qu’à nous écraser quelques temps plus tard. De déconvenue, de surprise, de faux espoirs… Peu importe, cela ne reste que de la stupidité aux yeux de Riley. Les hommes ont beau être semblables dans certaines circonstances, ils n’en restent pas moins imprévisibles à d’autres moments. Quoi de mieux pour tomber et se blesser que de tenter de tout prévoir ? Ah… La jeune fille la vouvoyait-elle donc pour rentrer dans son jeu d’autoritarisme ? Possible. Encore une fois, elle s’en balançait. A tout bien considérer sa proposition de la suivre, Riley ne quittait pas ses yeux, avant d’acquiescer. Ce serait ce qu’il y a encore de plus simple pour éviter de se paumer dans les nombreux couloirs de cette partie du QG.

« Je te suis. » Elle-même ne pourrait dire si elle avait accentué son ton sur l’un des mots prononcés, ou si cela n’était qu’une brume dans son esprit. Est-ce que cela avait une véritable importance de toute façon ? « Et oui, je suis bien Riley. » Toutes deux avaient déjà dû se croiser par le passé, mais il faut bien reconnaître que Riley n’était pas coutumière à ce genre d’endroits. A son avis, bon nombre de partisans ne devaient pas la connaitre, ce qui avait un petit côté amusant. Et puis, on passe par-dessus, et on oublie. Elle aussi ne s’arrêtait pas vraiment sur des personnes en particulier. Pas parmi les demi-dieux. Pas non plus auprès des humains, à bien y réfléchir. En somme, son attention ne s’arrêtait que brièvement, parce que tout détail dans le décor pouvait avoir son importance pour survivre, tout comme les êtres humains pouvaient se montrer clairement inutiles. Un détail n’a donc pas toujours la même définition dans son esprit. Etrange, n’est-ce pas ?

Et sa voix qui retentit de nouveau, alors qu’elles se sont remises à marcher. Riley enregistre le chemin, alors que son cerveau se concentre également sur le choix des mots utilisés, sur le ton offert, et sur ce port de tête qui la fait légèrement plisser des yeux. Elles se suivent, et l’ancienne romaine peut observer son guide de quelques pas en arrière. Elle n’est pas agacée par les propos tenus, mais sa langue est libre. Si son père l’a majoritairement formé lui-même, il a appris combien il pouvait être compliqué de la faire rentrer dans un moule bien défini. Et Riley, elle se sent libre. Elle se veut libre. Parce qu’elle aime cela, combien même ses responsabilités peuvent parfois être nombreuses. Peu importe, tant qu’elle garde la tête droite, et le regard fier et insoumis. Alors oui, ces phrases dites sur ce ton, ont quelque chose d’étrange, qui la pousse à répondre sur un ton blasé, et presque moqueur. Sans méchanceté. Cette scène n’en entraine aucune.

« Tu en as vraiment quelque chose à faire ? Et, est-ce un traitement particulier ou tu vouvoies tous ceux que tu rencontres ? »

A moins qu’elle ne la considère comme une vieille, mais Riley avait suffisamment conscience de ses capacités physiques pour savoir que cela n’était pas envisageable. La peau lisse, les prunelles dures mais vives, et le corps souple de ceux qui s’entrainent continuellement. Elles tournèrent dans un nouveau couloir, et Riley attendit. Qu’allait lui répondre cette demoiselle qui semblait se conduire avec un faux respect, totalement exagéré.

Au moins, il y avait un avantage à cette rencontre. Riley pourrait enregistrer le chemin jusqu’au réfectoire et ne plus avoir à faire à d’autres demi-dieux habitant cette base. Il est vrai que tous ne vivaient pas là, et qu’elle était d’ailleurs loin de tous les connaitre, mais pour être sincère, c’était déjà trop. Jayson et Asher lui suffisaient comme échantillon de partisans. Parce que franchement, de ce qu’elle en avait vu, elle estimait qu’il y en avait peu qui méritaient son attention, voire sa méfiance. Pas assez entrainés, pas assez volontaires, pas assez dangereux pour qu’elle s’inquiète. Evidemment, elle restait toujours sur le qui-vive d’une manière ou d’une autre, sinon elle ne serait pas arrivée là où elle était aujourd’hui, mais il n’en restait pas moins que Riley n’avait aucune confiance en ces enfants et adolescents en tous genres.

Cette fille ne faisait pas exception à la règle. Trop précieuse, trop mesquine, rien qui ne puisse l’intéresser. Probablement qu’elle possédait une certaine force morale, c’est vrai, mais l’intérêt s’arrêterait là alors. Rien d’autre n’attirait son attention, et quelque part, c’était bon signe. Cela voudrait au moins dire qu’elle n’aurait pas d’envies de meurtre envers la demoiselle. Sauf si cette dernière lui ressortait un ton presque condescendant auquel elle n’adhérait pas du tout. Mais bon, s’il fallait être honnête, Riley devait bien se dire que les plus jeunes étaient ainsi, sans bride, ni formation, ils se montraient un peu fous et irrespectueux. Peu attentifs à ce qu’il se passait autour d’eux. Pas grave, elle n’en ferait pas grand cas, et dans quelques heures, cette jeune femme serait oubliée.

La fille proposa une conversation, idée à laquelle Riley n’avait pas envie de s’associer. Le fait qu’elle la qualifie de gamine puérile la fit hausser un sourcil, sans rien ajouter. Y répondre n’avait pas d’importance, tout comme la conforter ou la détromper. Sa réflexion n’était ni drôle, ni grave, ni porteur de quelque poids que cela puisse être. Parce que la fille n’avait pas d’existence réelle à ses yeux et que son avis sur sa personne n’entrait donc pas en ligne de compte. Oui, Riley est quelqu’un de dur, une personne que les années et les épreuves ont forgée à devenir ainsi. L’inconnue continua sur sa lancée, en lançant de nouvelles piques, quant à la politesse. Là encore, Riley n’avait pas de leçon à recevoir de cette demi-déesse bien trop hypocrite pour être sincère. La fille de Nox se contenta de bailler, en mettant la main devant la bouche, comme une preuve que les dires de son interlocutrice ne l’intéressaient pas.

Lorsque cette fille reprit la parole, Riley ne tourna pas la tête vers elle, pensive au sujet de la réunion qu’elle venait de terminer avec Jayson. Peut-être qu’elle devrait lui poser ses questions dès maintenant, avant qu’elle ne quitte le QG pour elle ne savait combien de temps. Inspirant profondément, elle stoppa sa marche et se tourna vers la demoiselle. « Ecoute, merci pour les leçons, les piques, la visite, et la demande de recommencer à zéro. C’est très gentil tout ça. » Ton plat, parce qu’elle n’en avait rien à battre, mais qu’elle savait parler elle aussi. « Mais je dois y aller. Bonne journée. » Expéditive ? Peut-être, mais elle avait été polie. La gamine ne pourrait pas lui reprocher ça, au moins. Et sans attendre, elle quitta l’endroit pour faire le chemin en sens inverse et retrouver Jayson.